Dans cette localité de l’arrondissement de Bana dans le département du Haut-Nkam à l’Ouest du pays, des déplacés internes de la crise anglophone ont trouvé un terrain fertile pour leur intégration et pour l’agriculture, constituant ainsi une main d’œuvre importante pour le développement du coin.
Par Christian Djeumou
« Je suis arrivé ici en 2019, le roi du groupement Batcha nous a bien accueillis, l’ambiance avec les villageois et les autorités du village est bonne, ils nous ont donné les terres ». Augustin s’est refait une vie dans les forêts de Batcha, précisément au quartier Douk. A 45 ans, il a quitté son Bamenda natal pour s’installer ici et s’est imposé au fil du temps, comme un véritable leader dans la production agropastorale. En cette matinée du 28 janvier 2025, le temps est clément ; il nous ballade fièrement dans ses vastes champs pour nous expliquer comment son village d’accueil a ouvert les bras pour l’accueillir : « Ce n’était pas facile au départ, puisque sortant de la crise, personne n’est parti avec un capital ; il a donc fallu une main d’œuvre forte, les populations nous ont aidé dès la préparation des terres et aujourd’hui, nous pouvons déjà voler de nos propres ailes et maintenant, nous pouvons déjà tirés certains de nos frères aussi victimes de la crise. » Désormais, c’est sur un espace de plus de 30 ha que ce groupe brille dans la culture des maraichères : tomates, poivrons, piments, pommes de terre.
Dans cette localité où le climat est favorable à l’agriculture, Augustin et son groupe ont adapté un système d’irrigation à travers les cours d’eau, ce qui permet de pratiquer la culture à toute saison. Dans un champ de pomme de terre à perte de vue et qui suscite de l’admiration chez les visiteurs, notre interlocuteur ne boude pas son plaisir de revenir sur l’exemple de l’intégration et du vivre-ensemble à Batcha : « Nous sommes arrivés ici étant très maigres, vous pouvez constater que nous avons pris du poids. Même si nos enfants sont obligés d’aller dans les écoles francophones, ils s’adaptent progressivement ; honnêtement nous nous sentons à l’aise », précise-t-il, en ajustant sa casquette et en prenant pour témoin les jeunes qui l’entourent.
L’apport de la Confédération Africaine des Acteurs Agropastoraux (C-3A)…

Pour une meilleure organisation de la communauté anglophone de Batcha qui fait ses preuves dans l’agriculture, son leader est en contact avec la Confédération Africaine des Acteurs Agropastoraux. Sous la conduite de son président du Conseil Exécutif, Sa Majesté Zomba’a Doudjo Armand, lui-même fils du groupement Batcha et chef de 3è degré du village TCHUICHE, la délégation de la C-3A venue de Yaoundé commence sa visite par un entretien avec les agriculteurs, avant de faire le tour des cultures. Plus d’une heure de visite n’aura pas suffi pour visiter le vaste champ de pomme terre. Les producteurs sous la conduite de leur leader en profitent pour poser des doléances à la confédération : « Nous attendons des accompagnements pour améliorer notre production, puisque parmi nous il y’a les vieux avec femmes et enfants, certains ne vont même pas à l’école. Et avoir des gains qui nous permettrons d’envoyer nos enfants à l’école. » En réponse, le président de la C-3A s’est voulu précis : « On va commencer par l’identification des acteurs (producteurs des pommes de terres), leurs forces et leurs faiblesses, ce qui va permettre à la Confédération de les former dans les nouvelles techniques de production des pommes de terre. D’ailleurs, la confédération va participer au salon des fruits et légumes (MAFRUCT) en Italie au mois de Mai 2025 et le régisseur de ce salon va organiser cette année, un symposium sur la production et la transformation des pommes de terres. On va désigner quelqu’un de cette coopérative qui va prendre part à ce salon, qui ira présenter les forces de la pomme de terre de Batcha. A son retour, il reviendra avec des connaissances, des propositions de partenariats, afin que la pomme de Batcha soit consommée partout dans le monde. »
C’est le travail qui bâti l’homme et non la guerre…

Même dans sa joie et sa reconnaissance d’une intégration réussie, le regret se lit sur le visage de Augustin quand il faut évoquer la crise qui secoue les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest depuis bientôt 10 ans. Il est convaincu que les solutions existent toujours, cela commence par le soutien des pouvoirs publics aux projets et initiatives de la jeunesse, comme les activités que mène la communauté anglophone actuellement à Batcha : « Nous avons besoins que les autorités de la République pensent à nous, descendent sur le terrain pour vivre ce que nous faisons, que les autorités pensent à Batcha qui n’a pas de route, ce qui va nous aider à écouler nos produits, que les autorités pensent à ouvrir une école anglophone à Batcha. », a-t-il souhaité, avant d’ajouter que : « Lorsque les gens ont des idées positives comme nous, c’est une qualité. Nous n’avons pas pensé comme nos frères qui ont porté les armes, puisque la République est un. Si les autorités peuvent nous aider à améliorer ce que Sa Majesté KOUEKAM (le roi du groupement Batcha) de faire ici, cela permettra d’attirer beaucoup de nos frères, ils vont changer les idées et comprendre que c’est le travail qui bâti l’homme et non la guerre. »
Loin de la politique, la communauté anglophone a trouvé son bonheur à Batcha et se concentre sur la recherche de l’or qui se trouve dans la terre. Les fruits tiennent progressivement les promesses des fleurs, leur implication dans le développement de ce groupement saute à l’œil et les populations locales s’y adaptent avec la concurrence qui est désormais imposé dans l’abnégation au travail. A Batcha, ces déplacés internes sont « chez eux » avec la bénédiction du Roi en personne qui a déjà entamé la procédure d’anoblissement de ceux qui sortent du lot, faisant d’eux, des autorités traditionnelles du coin.
